Pour réaliser la chape, le bureau de recrutement décida, à l’unanimité, de faire appel toujours aux mêmes copains.
A cela plusieurs raisons furent avancées :
- Ils étaient disponibles et ne m’avaient toujours pas blacklisté.
- La plupart étaient déjà là pour la dalle à la chaux et en étaient sortis indemnes, preuve s’il en est qu’un être supérieur veillait sur leurs vies.
- Greg n’avaient toujours pas trouvé « d’artisans dans la salle » malgré ses efforts répétés.
- En dépit de leurs moqueries, la conscience écologique des heureux élus étaient en pleine maturation et dans ces moments-là, rien ne vaut un atelier pratique, non ?
La fine équipe se composait donc de :
Greg le basco-toulousain, qui semble avoir définitivement perdu son béret basque
Sylvain qui n’avait pas emmené sa micro bétonnière
Rémi le Viking qui ne jouait pas les qualifs de Roland Garros pour cause de pluie (il a plu toute la journée !)
Johann qui n’avait pas acheté de lunettes pour se protéger des projections de chaux, mais avait préféré investir toute sa tire-lire cochon dans des bottes de pluie d’enfant
Olivier qui n’avait pas connu la dalle à la chaux mais l’empierrement du hérisson (et qui pensait sans doute avoir traversé le pire ; la suite lui prouva que non, comme dirait Brassens)
Denis qui avait bien d’autres chats à fouetter, et notamment deux chantiers en cours, mais qui a eu le malheur d’acheter Maître Putzi avec moi
Et Putzi, donc, qui en dépit de sa simple qualité de machine mérite tout à fait de figurer parmi les protagonistes de cette histoire, comme vous allez pouvoir le découvrir
Maître Putzi, pompe à béton P13 de son état, fut fabriquée en 1902 (ou pas loin) sur l’élan de la révolution industrielle, de l’invention du moteur à explosion et de la croyance absolue dans les vertus du progrès technique.
Cette machine légendaire, croisement d’un tracteur et d’un seau à béton, est à la construction ce que Raymond Poulidor est à la bicyclette, un formidable animateur d’étape qui a toutefois un peu de mal à passer la ligne d’arrivée en vainqueur.
Face à ces grands enfants que nous sommes, Maître Putzi provoqua l’euphorie générale à son démarrage comme en atteste la vidéo suivante. Il était quand même 11h et Putzi se réveillant d’un long sommeil avait eu un peu de mal à tousser.
Avec la mise en route de Putzi, nous croyions avoir fait le plus dur. La joie fut donc à son comble lorsque les premières giclées de mortier débouchèrent du tuyau.
Hélas ce sentiment fut de très courte durée car de manière complètement inattendue, le mélange de chaux et sable cessa de couler et quelques secondes plus tard le moteur de Putzi commença à ralentir.
C’était un signal qui équivalait, on s’en rendit compte un peu trop tard, à une véritable alerte rouge nucléaire. Avant qu’on ait eu le temps de réagir, une explosion tonitruante déchira l’atmosphère : le tuyau venait de lâcher sous la pression. Une secousse de magnitude 2 fut enregistrée par le sismographe de Nice.
En fait, un caillou était passé à travers le tamis et s’était coincé au niveau d’une réduction mettant le tuyau en surpression. Il est à noter que le moteur de Putzi n’avait pas calé : sur le papier la bête est quand même supposée pomper du béton à 300m à l’horizontale et 100m à la verticale, steplait.
Imaginez : du mortier partout, le tuyau ouvert en deux, la machine continuant de pomper : un grand moment de solitude. En cet instant, je me rappelais du gars de M6.
Mais si, le gars de M6, celui qui s’est lancé dans la construction de sa maison en paille et qui dès le premier jour, alors que le tracto arrive sur le chantier, se rend compte qu’il y a un bug dans les plans de l’archi : le sous-sol n’apparaît pas sur les plans !!! Quelques temps après il trouve des rats dans sa paille, puis, il se pète le bras et ainsi de suite.
Depuis le jour où l’on a officialisé notre projet, il ne se passe pas 1 mois sans que quelqu’un nous parle de cette émission de M6 où ce fameux gars construit sa maison en paille. Au vu du nombre de galères différentes, il est à peu près sûr désormais qu’il s’agisse de plusieurs et non d’une et même émission.
Bref, le gars de M6, celui qui pense pouvoir se lancer dans un projet aussi gros juste avec sa bonne volonté et son optimisme sans borne, et qui doit faire face à toutes les déconvenues qu’il est possible d’imaginer sur un chantier. C’était moi !
A la différence notable que je n’étais pas seul, que nous étions sept, comme Yul Brynner et ses mercenaires, les cheveux en plus.
Ainsi, chacun s’occupa, qui de réparer le tuyau, qui de nettoyer la façade, qui de déboucher la réduction et une grosse demi-heure plus tard, nous étions prêts à repartir…
Seulement Putzi, elle, n’était pas prête ! Il fallut démonter chacun des raccords et la nettoyer à fond avant de penser à relancer the Machine.
A 13h, le moral était en berne, nous décidâmes de manger avant de se relancer dans la chaux. Nous ouvrîmes donc les sacs préparés la veille par Steph après sa journée de 10h au chantier. Cette même Steph qui était en train de garder sept enfants (avec d’autres copines, quand même) et qui paya chèrement son absence. Construire sa maison en faisant venir régulièrement des copains est un excellent moyen de perdre toute susceptibilité.
En effet, ce pique-nique fut l’occasion pour Sylvain et Greg de rire à propos d’un cake maison de Steph. Ces Laurel et Hardy des costières, qui n’ont rien à envier à Groucho et Harpo Marx, nous passèrent en un quart d’heure toutes les blagues connues du répertoire francophone sur le thème « ce cake est drôlement sec ».
Greg et Sylvain ayant épuisé toutes leurs vannes, à leur grand désespoir, nous fûmes prêts à repartir. Cependant les avis divergeaient : beaucoup n’avaient plus du tout confiance en la Deutsche Kalität de Putzi. Mais Denis, d’un calme impérial, ne cilla point et encouragés par son stoïcisme, nous décidâmes de démarrer Putzi à nouveau.
Et là, le miracle eut lieu : le malaxeur se mit à malaxer, la pompe à pomper, et la chape à avancer. En l’espace de trois heures, sans arrêt, deux tiers de la chape furent coulés et mis à niveau.
Puis on arrêta, presque à court de chaux (bravo le calcul d’approvisionnement), en sachant qu’il nous restait à tout nettoyer et à talocher.
Chacun des mercenaires repartit chez lui, les mains blanchies par la chaux (malgré les gants), les poumons chargés de substances irritantes (malgré les masques), le dos en vrac (malgré la hum… jeunesse), et les bottes sales (malgré le traitement antisalissure des bottes de pluie Petit Bateau de Johann), mais des images pleins la tête !!!
Car oui, ce fut difficile, mais c’est dans l’adversité qu’on construit les plus belles victoires et ce jour, comme le dit si bien Sylvain au micro de canal + sport : « on na tous donnez, peut inporte qui c’est qu’a marquer, c’est l’équipe qui conte, on a eu un taon fort mais on a pas arriver à concrétisez, mes on ait restait solidair et finalement on leur à mit la paille », heu, pas encore Sylvain, pas encore…